Musée Soulages: le bleu

Excellente conférence de Julien Arquié, mercredi 26 mars, à la suite des expositions temporaires sur les « bleus » de Yves KLEIN (2019) et actuelle de Geneviève ASSE- propos portant sur le  » Bleu « , ses compositions, ses rapports aux autres couleurs et ses résonances auprès du public, cela sur la base du livre des couleurs de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet (collection Points).

Cela m’a donné envie d’y ajouter pour mon plaisir personnel, et pourquoi pas pour le vôtre, ces quelques extraits de vers de Sergueï Essenine (poèmes puisés dans Poètes d’Aujourd’hui coll. Seghers et cités chez Hatier) que j’aimais faire partager à mes élèves, il y a de cela hélas un temps certain:

Où es-tu? Où es-tu maison du père
Qui te chauffes l’échine sous le tertre?
Et moi fleurette bleue toute bleue
Et le sable non foulé
Où es-tu maison de mon père?

Lune de clair de lune –
Rêves bleus
Sabot et fées sont accrochés aujourd’hui
Ô la lumière si secrète.

Au loin je m’en vais
Ma maison est si loin
Russie tu ne bleuis plus
Pour bercer le chagrin de ma mère

Autrefois j’étais beau et jeune.
Et sans pouvoir s’arrêter
Tout est passé pour ne jamais revenir.
Yeux délavés, cœur refroidi

Ce bonheur bleu! Ces nuits de lune ?


« Par les soirs bleus, les soirs de lune,
Autrefois j’étais beau et jeune.

Et sans pouvoir s’arrêter
Tout est passé pour ne jamais revenir.
Yeux délavés, cœur refroidi

Ce bonheur bleu ! Ces nuits de lune ?

.Et ce dernier poème écrit en1925 dans sa chambre le soir où il s’est suicidé à 30 ans (1925)


Pauvre plumitif est-ce bien toi qui composes
Des chansons à la lune ?
Depuis longtemps je me suis refroidi devant
Le vin, le jeu, l’amour.


Cette lune qui entre par la croisée
Verse une lumière à vous crever les yeux
La dame de pique j’ai levé

Pour jouer enfin l’as de carreau.

Au revoir mon ami ; ni Poignée de main, ni un mot, Ne vas pas t’affiger ici, C’est que vivre n’est pas nouveau Et mourir, il est vrai, non plus.

A propos des BREVES de REGIS DEBRAY

C’est le privilège de l’âge que de pouvoir évoquer, tel que je l’ai fait pour Paul Chemetov, des personnages qui ont marqué l’existence à des degrés divers. Aujourd’hui je souhaiterais évoquer la mémoire d’un de mes anciens profs de lettres devenu ami, habitant près de Druelle, chez qui j’allais parfois échanger quelques propos littéraires et quelques verres de prune – heureusement il n’y avait pas de contrôles routiers à mon retour vers les Costes Rouges.

Lorsque j’étais dans les classes terminales du Bac il y a de cela bien longtemps, André, puisqu’il s’agit de lui, ne cessait de nous citer cette « Pensée » de Blaise Pascal publiée post-mortem- en 1670– demandant l’indulgence de ses lecteurs: « je n’ai fait cette lettre si longue que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte. » Utile réflexion qui m’a convaincu de la nécessité de la concision (vs le verbiage) afin de capter la réflexion du lecteur plutôt que de l’endormir face à des des développements plus ou moins oiseux.

Je me suis toutefois souvent demandé si ce n’était pas chez lui tout autant qu’une volonté pédagogique celle de ne pas se laisser submerger par les corrections interminables de nos copies afin de pouvoir bénéficier de suffisamment de temps pour laisser libre-cours à ses envies bucoliques -telles celles de Virgile – vouées à la contemplation des bergers er de leurs troupeaux.

Quoi qu’il en soit, j’en ai gardé le goût des brèves, de la pensée concentrée qu’on capte vite mais qui ensuite oblige a posteriori à la réflexion, au décriptage oserais-je, dire, et au débat intérieur.

C’est pourquoi, en novembre dernier, j’avais déjà évoqué l’académicien Dany Laferrière :’Un certain art de vivre » (Grasse). Aujourd’hui, suggérée par jean-Emmanuel Ducoin (bloc- noteur dans l’Huma), je me suis livré à la lecture de « BREF » de Régis Debray (Gallimard janvier- 2024- 78 pages).

Pour la bonne bouche, voici quelques extraits d’anotations puisées dans cet opus:

  • La JOCONDE nous rappelle ce qu’il faut de reproductions pour devenir unique. Et d’unicité pour rester comme vous et moi, n’importe qui.
  • Compliqué de faire simple. Cela demande toute une vie , et encore.
  • Après l’avenir, la politique,la mission, le programme, on a le foot, le parc Disney,le fitness, la croisiére.On ne remplace pas mais c’est plus amusant.
  • On rêve tous d’être quelque chose. C’est devenir quelqu’un le plus difficile, d’autant qu’on aurait bien aimé, avant de mourir,savoir qui au juste.
  • Dans les deux dates, naissance et mort, qui résumeront notre séjour ici-bas, nous n’aurons été strictement pour rien. Une raison de plus pour baisser le ton.
  • Partir du rouge, virer au rose, un brin de tricolore, et un peu de bleu pour finir. Le bon plan de carrière change de couleur au fil des ans. Le monocolore va dans le mur. Le polychrome aussi y va, mais en sauvant les apparences.

Souvent frappées au coin du bon sens par un personnage dont l’idéal de jeunesse l’avait conduit à partager l’aventure du CHE et de Fidel, faut-il voir en lui une succession de désenchantements? Peut-être pas mais: « Démoralisant, l’écart qui se creuse entre le but visé à 15 ans et le but atteint à 80. Avec le suicide à mi-chemin, on aurait pu au moins garder le moral » écrit-il p. 25. (sic)

Paul CHEMETOV

Je voudrais simplement rendre hommage à Paul Chemetov, grand architecte de dimension internationale connu entre autres pour ses réalisations: la Grande Galerie du Museum d’histoire natuelle, le Ministère des finances de Bercy, le siège du PCF place du Colonel Fabien en tant que collaborateur d’Oscar Niemeyer, la bibliothèque municipale de Montpellier, l’ambassade de France à New Delhi et bien d’autres.

Paul Chemetov est décédé le 17 juin à l’âge de 95 ans. Il faisait partie du jury du 26 juin 2007 en charge du choix de la maîtrise d’oeuvre du bâtiment du musée en présence de Pierre et Colette Soulages, sous la présidence de Marc Censi alors président de Rodez Agglo, de personnalités qualifiées dont Estelle Pietrzyk alors conservatrice et de 5 élus de l’agglo: Fabrice Geniez, Jean Terral, Jean-François Théron, Christian Teyssèdre et moi-même.

C’est en cette occasion que j’ai rencontré un homme avec qui j’ai tout de suite fraternisé, un homme qui malgré sa notoriété était d’un abord très simple et à la compétence duquel Rodez doit une part, non des moindres, du choix de l’architecture du musée et de sa situation au centre du jardin public. Il fallait que cela fût rappelé.

De Masson à Artaud

Dans le Théâtre de la Cruauté, Antonin s’exprimait ainsi: « un théâtre qui réveille en nous nerfs et coeurs, où des images broient et hypnotisent la sensibilité du spectateur, jouant un rôle de catharsis, une fonction qui fournit des obsessions érotiques, de sauvagerie, de chimères, un sens utopique de la vie et des choses, de cannibalisme même » (cité par Florence de Meredieu in C’était antonin Artaud- Ed Fayard-) qui notait que chez Artaud « La chair a toujours transcendé l’esprit ».

Peter BROOK, prestigieux metteur en scène entre autres de Moderato Cantabile avec jeanne Moreau comme actrice, s’inspirant du Théâtre de la Cruauté, adepte de l’espace vide, disait en substance de l’œuvre d’art, je le cite de mémoire, « Il faut s’arrêter, prendre le temps d’observer, de l’interroger. Un tableau, c’est des lignes, des formes et des couleurs à saisir avant toute autre forme de considération ».

On ne saurait s’appuyer sur de meilleures références pour aborder le tableau d’André MASSON intitulé L’Homme, tableau acheté dans les années 1920-24 par Antonin Artaud alors qu’ils cohabitaient tous deux avec de nombreux autres artistes au 45 rue Blomet à Paris, nouvelle version de l’ancien « Bateau-Lavoir » de Montmartre à cette époque disparu. Lieu d’accueil des artistes dans les années 1920-30, le 45 rue Blomet devint à dater de 1920, du fait de la présence en particulier d’ André Breton, lieu de référence des surréalistes.

Au premier abord, l’huile sur toile « L’HOMME » a de quoi surprendre et nous interpeller: vision d’un cadavre semble-t-il à la façon de Charles Baudelaire dans Les Fleurs du Mal /..une charogne infâme /..Les jambes en l’air comme une femme lubrique/ Brûlante et suant les poisons / Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique/ Son ventre plein d’exhalaisons ». On pourrait y voir, à la sortie de la Guerre comme une révolte, une nausée au souvenir récent de l’atmosphère traumatisante régnant dans les hôpitaux militaires de campagne dans lesquels Masson avait passé plusieurs années à la suite de graves blessures qu’il avait subies au Chemin des Dames en 1916.

Cependant, au-delà de ces considérations à résonance autobiographique émises à l’issue de la Grande Guerre et des traumatismes qu’elle avait engendrés , se dessine une sémantique de nature toute différente.

Ainsi en est-il de ce soleil bien noté par Antonin, illuminant le corps d’en haut, rappelant le dieu égyptien RÄ veillant – non sur une charogne – mais sur une momie entourée de lignes figurant des bandelettes, lignes fuyantes, forme d’écriture hiéroglyphique et du poisson mort du Nil . De plus la couleur ocre n’évoquerait elle pas celle du sable de l’Egypte pharaonique ?

L’ensemble est embaumé, figé pour l’éternité. Et si le ventre prédomine, n’est-il pas la partie essentielle, celle qu’on extrait et qu’on conserve précieusement dans des amphores? Victor Hugo lui-même pressentait ce que dit la médecine moderne: le ventre doté d’une forme de pouvoir qui commande tout le reste, y compris le cerveau?

Quant aux entortillements, ces circonvolutions à coups de crayons ou de pinceaux, ils sont la marque propre du surréalisme, le dessin laissant libre cours au subconscient, dessin automatique cher au dadaïsme. Masson y retrouve les origines de son art auxquelles s’ajoute son admiration pour l’art pariétal des grottes d’Altamira qu’on vient de découvrir, particulièrement la figuration des bisons au ventre imposant, la couleur ocre, et l’investissement mystique qu’on leur prête.

On retrouvera d’ailleurs, plus tard, une forme d’écriture semblable dans le Guernica de Pablo Picasso qui fréquentait la rue Blomet, écriture marquant le souvenir de sa connaissance par voie de presse du martyre infligé à la ville basque par le bombardement des armées du III° Reich.

Symbolique aussi cet abdomen de sexe masculin éclaté, surmonté de la poitrine pourvue de seins nettement dessinés, retour au mythe platonicien de l’Androgyne et évocation des interrogations sexuelles qui furent celles d’ Antonin toute sa vie.

Ces quelques remarques, qui m’ont été inspirées par l’huile de Masson j’en ai aussi puisé la substance dans le poème Un Ventre Fin d’ARTAUD dans l’Ombilic Des Limbes (1924):. titre évocateur, incipit en forme d’oxymore dont l’épithète, nous dit le Robert, oppose un caractère de perfection à la forme plus arrondie voire choquante du ventre lui-même? Oxymore clé de la réflexion que le poète a certainement souhaité nous faire partager quant à la peinture dont il venait de faire l’acquisition. Laissons lui la parole:

Gabriel Péri aussi !

Que Gabriel Péri, Journaliste à l’Humanité, précédemment député communiste d’Argenteuil dans les années 1930, fusillé le 15 décembre 1941 au Mont-Valérien, trois ans avant Missak Manouchian et les 22 autres FTP-MOI de l’Affiche Rouge, fusillés eux le 21 février 1944 toujours au Mont- Valérien , Guy Môquet (18 ans) fusillé le 21 octobre 1941 à Châteaubriant, et tous les résistants qui ont fait le sacrifice de leur vie au nom de la liberté et de la lutte contre le fascisme, fassent enfin officiellement l’objet d’une juste reconnaissance marquée par l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée ne peut que recueillir notre approbation.

Merci aussi aux poètes Louis Aragon , Paul Eluard, aux chanteurs et musiciens Jean Ferrat (nuit at brouillard), Léo ferré et tant d’autres qui ont popularisé leur combat et leur sacrifice.

Réflexions à partager

Dany Laferrière (op. cité précédemment) nous livre des réflexions plus académiques. Parmi celles-ci, en voici quelques-unes dont la sagesse a particulièrement capté mon attention:

-Je n’ai jamais dissocié la lecture de l’écriture
car, si on lit pour quitter le lieu où on se
trouve, on fait de même en écrivant. (p. 85)

-Toute bibliothèque est un cimetière
peuplé de morts qui pensent
et avec qui on dialogue parfois. (P. 86)

-A force de s’occuper de la langue
on risque d’oublier la parole
c’est-à-dire ce qu’on a à dire
et pas seulement comment le dire. (p.88)

Et cette réflexion à méditer en ces temps troublés de guerres et d’intolérance:

-Quand tout tombe, il reste la culture. (p. 94)

Humour académicien

Rencontrée, au fil de mes lectures, chez Dany Laferrière de l’Académie française dans son livre : Un certain art de vivre(Grasset), cette note pédagogique qui ne manque pas de sel en direction des étudiants:

Le sexe imprègne si fortement chaque trace écrite que je peux sentir sa présence jusque dans le théorème d’Archimède dont le fabuleux début « Tout corps plongé dans l’eau reçoit une poussée verticale de bas en haut… » me paraît assez érotique pour jeter un physicien en herbe dans les affres du désir.

Je n’ai pu résister à vous la faire partager